
Être inadapté à l’insupportable est-il une qualité ?
L’être urbain étant familier de cette réflexion à contre-courant, ce qui va suivre ne vous surprendra pas mais aiguisera certainement votre sens de la résistance aux clichés et donnera probablement un espoir à certains.
Qui n’a pas, dans son entourage, un individu (enfant le plus souvent car plus pratique à stigmatiser) étiqueté « hyperactif » ou avec « déficit d’attention », qui n’obéit jamais, n’écoute rien, suscite des réactions critiques et outragées ? Qui n’a jamais côtoyé ces insupportables gigoteurs, qui passent d’une chose à l’autre, ne respectent aucunes consignes, sont remuants, trépignants, rétifs à l’autorité… ou alors, plus acceptablement parfois, rêveurs, la tête ailleurs, jamais concentrés sur ce qu’on leur demande, ce qu’on attend d’eux, socialement insupportables. Dans son livre « Le retour des Zappeurs », le docteur Dominique Dupagne décortique et analyse avec une issue optimiste, cet individu qui dérange : le Zappeur. Et nous donne espoir, vous allez voir comment.
Chez les zappeurs, chez ces enfants, "chez ces gens-là, monsieur", l’action précède la pensée. Ils sont irritants, mal élevés. Leurs parents souffrent de ces étiquettes qui remettent en question leur éducation. L’école ne sait pas comment les gérer, « distraction, inattention, excitation. » « Résultats insuffisants malgré de bonnes capacités », voilà le genre de commentaires qui émaillent leurs carnets de notes. Car l’école est un bagne pour les enfants zappeurs qui ne parviennent pas à apprendre et retenir ce qui ne les intéresse pas, à rester des heures immobiles, à acquiescer sans débattre. Ils sont punis pour leur indiscipline, s’inscrivent très tôt dans une logique d’échec et de résistance et sont écartés du parcours qui mène aux métiers rémunérateurs et aux postes à responsabilités. Certains d’entre eux sortent, définitivement brisés du système scolaire.
Vous les connaissez. Ils sont parmi nous. Ils ne font pas partie de « normal land », ce pays où il ne fait pas bon être différent. Ils sont marginaux donc pathologiques. Il faut les soigner.
Pourtant, fait étrange, leur inattention semble sélective et il est des domaines où ils excellent, notamment lorsqu’il s’agit de créativité ou de se concentrer sur ce qui leur plait vraiment. Il se pourrait même que la plupart des artistes et bon nombre de créatifs soient atteints. Il semblerait qu’Einstein, Léonard de Vinci, Voltaire… aient « souffert » de ce mal honteux. Alors ?
Le DSM V (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), ce manuel, révisé en mai 2013 de façon extensive, répertorie les maladies mentales, leurs manifestations et leurs traitements. Il est la Bible de la psychiatrie mondiale. Fortement contesté, car ses travaux d’élaborations sont maintenus secrets, la polémique enfle à son sujet. Certains n’hésitent pas à dire que le DSM V reflète surtout les humeurs du moment des leaders de la communauté psychiatrique américaine, inspirés parfois par les nombreux liens d’intérêts qu’ils entretiennent avec l’industrie pharmaceutique. Le DSM V serait, en outre, responsable du sur-diagnostic des maladies mentales. On lui reproche de psychiatriser des réactions psychologiques dont le caractère pathologique est discutable (une simple tristesse devient vite une dépression). Au cours des vingt dernières années, le taux de troubles bipolaires chez l’enfant a été multiplié par 40, d’autisme par 20. Les diagnostics de trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité ont triplé, ceux de trouble bipolaire ont doublé.
On n’a donc plus le droit d’être un peu névrosé, normalement psychotique, poétiquement schizophrène, intellectuellement mythomane….et anarchiquement zappeur ?
Mais pourquoi sacrifierions-nous sur l’autel de la psychiatrie nos enfants prodiges ? Peut-être pour légitimer une société technocratique qui vit en autarcie sur ses privilèges et son pouvoir réservé à une élite ?
Aujourd’hui, plus que jamais, nos bambins sont évalués, psychanalysés, suivis, encadrés… et souvent « mis sous ritaline» pour rentrer dans le moule. Car, bien entendu, ce n’est pas le moule qui est déficient, c’est celui qui est dedans : l’enfant, vous, moi, nous tous bientôt !
Alors, revenons au point de départ. Au début était l’homme, celui du paléolithique, vous voyez ? Celui qui est un « chasseur-cueilleur ». On connait la rengaine. Il est nomade, capable de se battre et de chasser. Il vit au grand air, bouge et s’active en permanence, doit avoir une réactivité extrême pour survivre aux attaques et aux menaces. Il est impulsif et intuitif. C’est un chasseur et un guerrier. C’est un zappeur avant l’heure et les individus les plus brillants sont les plus atteints. Avec la sédentarisation du néolithique, le déclin évolutif du chasseur-cueilleur commence. Dans la société massivement rurale et agricole, rien ne leur interdit cependant de rêver en labourant, en trayant les vaches, en filant la laine. Jusqu’au XX siècle, il n’était pas obligatoire de faire des études pour innover, créer, inventer. Mais, peu à peu, l’appareil d’Etat et la hiérarchisation de la société ont valorisé des caractères dociles, coopératifs, organisés.
Et le caractère zappeur, courant chez l’Homo Sapiens pendant plus d’un million d’années, est devenu une maladie en moins d’un siècle !
En réalité, la physiologie, de nos corps, y compris de notre cerveau, n’a guère évolué depuis le paléolithique. Mais la société, elle, a subit des mutations majeures et radicales. Si bien que le décalage en est insupportable, surtout pour les zappeurs les plus brillants dont la supériorité est battue en brèche par l’avènement des « bosseurs-patients », capables de rester attentifs et immobiles longtemps, de retenir tout et n’importe quoi, organisés, prudents, scrupuleux et méthodiques. Cette catégorie d’individus est valorisée dans la société, l’école en particulier où ils excellent très tôt. Ils sont devenus l’élite et l’école, la machine à reproduire leur mainmise sur la société.
Pour notre petit zappeur, les chances de réussite sont faibles, il connait surtout l’échec et est « orienté » vers des métiers qui ne lui correspondent pas. Cependant, lorsqu’il rencontre le succès, il peut atteindre des sommets. Albert Einstein, archétype du savant zappeur, a connu une scolarité difficile et était incapable de travailler les matières qui ne l’intéressaient pas. Il a cependant développé seul sa théorie de la relativité alors que rien ne l’y prédisposait.
Mais la société a évolué depuis 1950 et un changement majeur est en train de redonner la suprématie aux zappeurs : l’avènement de l’ère numérique et du web.
Tout s’accélère autour de nous et les flux continus d’informations brèves et nombreuses déstabilisent. Ce monde ultra-communicant et ultra-rapide que nous apporte internet et ses services semble taillé sur mesure pour les zappeurs.
Cette révolution 2.0, assimilable à celle de l’imprimerie, engendre une révolution sociale, la chute d’une civilisation technocratique sclérosante. Désormais, il faut savoir s’adapter dans des univers en perpétuelle mouvance, dans un chaos qui échappe au rationalisme. Le zappeur retrouve enfin sa jungle initiale et il s’y sent bien.
Cette véritable Renaissance 2.0 met à mal une certaine conception de l’école et de l’université taillées sur mesure pour les bosseurs-patients qui s’adaptent mal à l’ère numérique. Pour preuve, aujourd’hui, de grandes entreprises et des écoles d’excellence recherchent les zappeurs d’élite, des candidats ayant suivi des voies atypiques. Ils deviennent créateurs de start-up, chercheurs d’un nouveau genre, porteurs d’idées. Pour autant de nombreux zappeurs restent des rebelles incompris, dépressifs, décalés… mais leurs enfants auront probablement un autre destin.
« Le retour des zappeurs » est un livre plein d’espoir qui encourage ceux dont le statut est toujours majoritairement marginalisé ainsi que leurs parents, qui vivent souvent depuis l’enfance un parcours chaotique et culpabilisant.
L’auteur est médecin, lui-même ancien zappeur. Le livre est disponible gratuitement sur internet en une version réduite mais suffisante de 33 pages. Les témoignages sur le blog auquel il répond font frémir mais donnent un espoir totalement inédit pour les zappeurs maudits.
En réalité, déjà en 1924, les surréalistes dans le « Premier Manifeste » d’André Breton, réhabilitaient « les fous , hommes de la plus extrême révolte, conséquence ultime d’une société qui, parce qu’elle rend toute pensée impossible, ne peut que conduire à la folie ». Ce sont les surréalistes qui nous ont amenés à repenser profondément le problème de la folie.
« L'artiste est un malade qui essaie de se soigner en créant, mais plus il se soigne, plus il est malade. Et plus il est malade, plus il est content, vu qu'il n'a aucune envie de guérir. » Philippe Geluck
« Ils ont enfermé Sade, Ils ont enfermé Nietzsche, Ils ont enfermé Baudelaire. » A. Breton
"Enfant étourdi, enfant extrêmement étourdi" extrait de mon carnet scolaire 1972.
http://www.leretourdeszappeurs.com/ Faites notamment le ZAPTEST pour voir si vous êtes zappeur ou pas. Lisez le livre gratuit version réduite. Ecrivez sur le Forum.
http://ecolepoetique.ning.com/group/poesie-en-folie-poetry-madness/page/antonin-artaud-lettre-aux-medecins-chefs-des-asiles-de-fous
http://www.lesgrandsdebats.fr/Debats/Le-manuel-de-psychiatrie-DSM-5-est-il-un-livre-dangereux/Le-DSM-5-objet-d-une-polemique-mondiale-551
Pascal Kral, aux Urbains de la ville, et de la campagne