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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Napoli et Zingari

photo Naples quartier Spagnoli

Les Italiens, me dit-on, seraient les gens les plus racistes d’Europe. Des tags sur les murs qui le signifient : « zingari merda ». Je ne connais pas bien les Italiens, je connais mieux les Napolitains. Alors, je me rends compte, par cette dernière phrase, de  toute la complexité du truc. Les premiers Italiens et les premiers « gens » que j’ai connus dans ma vie, ce sont mes parents. Naples pour la mère, Sicile et Tunisie pour le père. Dans les voix qui portent et au sein de ma famille, Naples bat la Sicile. Car la Sicile est silencieuse, et la Sicile tunisienne c’est bien plus qu’un mystère, c’est un secret. À un tel point que je me dis qu’il faudra d’ici quelques années que je m’inquiète de ce dernier sujet, de tout ce qu’il porte dans ce silence, quelque chose d’assez difficile et douloureux qui me parlera et surtout m’expliquera cette espèce de mélancolie venue d’on ne sait où, dans le sang comme on dit, dans les racines.

Au contraire, Naples représente pour moi une part joyeuse, insouciante et ouverte de mon existence. Naples m’a appris à respecter l’autre. Naples la moqueuse mais Naples la main tendue. Naples la généreuse, Naples la voleuse. Parce qu’à Naples, les voleurs et les tricheurs ce sont surtout les Napolitains. Ceux du quartier espagnol, avec les petits garçons perdus qui ne vont plus à l’école, crachent et jurent pire que des adultes dans les stades de foot ; les scugnizzi, comme on les appelle. Alors moi dans tout ça je me mélange beaucoup les pinceaux. Et ce dont je peux parler, ce n’est que d’un ressenti. Ma mère a toujours défendu l’étranger et respecté l’autre, zingaro ou pas zingaro. Elle m’a avoué une fois non pas qu’elle avait été raciste mais qu’elle avait eu peur. C’était dans les années soixante à son arrivée à Paris. C’était la première fois qu’elle voyait « un noir ». Un noir qu'entre nous elle appelait « un Marocain » (certainement d’Afrique centrale ou des Antilles). Alors pourquoi un Marocain ? Pourquoi cette peur ? Eh bien certainement à cause de ce film avec Sofia Loren, « la Ciociara », où elle et sa fille se font violer par des soldats noirs d’Afrique du nord. Peut-être aussi à cause de ces histoires de fin de deuxième guerre mondiale, où effectivement ces soldats français ont commis des viols sur des mineurs et adultes, filles et/ou garçons ; cette partie de l’histoire que les Italiens eux-mêmes passent sous silence.

Du coup je suis quand même allée voir la signification du mot Zingaro. Est-ce qu’on parle d’un Gitan ? Ou bien d’un Rom ? Ou alors est-ce simplement une expression pour parler d’un être mal élevé et méchant ? Il Zingaro c’est tout cela. Et le Napolitain utilise beaucoup cette expression. Un tel est mal fringué, c’est un Zingaro. La nana qui crie dans tout le quartier c’est aussi une Zingara. Le vendeur à l’étalage, ou celui qui vend les bijoux à l’étalage c’est un Zingaro ou un Marocain selon. Dans ma famille, là-bas à Naples, je m’y sentais bien parce que même si j’en perdais mon nom, parce qu’on m’appelait « la Française », eh bien, bizarrement, je me sentais chez moi. Pendant le mondial de 1982, on est allé avec mes cousines à la mercerie demander du papier pour se confectionner des « bandiere » (drapeau). La mercière me demande : « Et toi alors, on te donne du bleu ou du vert ? » « Du vert », j’ai dit. Tous les adultes présents m’ont ovationnée et ont bien rigolé. Parce que le Napolitain aime rire et comme il aime rire, il se moque, et la première chose qu’ils feront avec toi c’est de te donner un surnom. Mais pas n’importe lequel, un surnom qui fasse rire. Quelque chose dans le sens de la caricature : par exemple celui qui a une grosse tête par rapport à son corps, on l’appelle « capochione » (grosse tête), celui qui a un grand nez « nasone » (gros nez, mais en plus marrant parce qu’on y associe un superlatif, intraduisible en français), celui qui a fugué de chez sa femme pendant quelques nuits « foente » (fuyant), etc. etc. Et « les victimes » me direz-vous ? Eh bien, les victimes se marrent aussi. Alors tout le monde se marre. Et moi aussi je me suis bien marrée. J’avais l’impression que tout était léger et quand on appelait sur la plage les algériens « hey vocumbra » (veux-tu acheter en un dialecte improbable et en un seul mot), bizarrement, je n’ai jamais eu l’impression qu’il y avait une intonation raciste quelque part. Sur la plage, c’est vous dire qu’on ramenait pas mal de choses à manger et quand les « vocumbras » venaient, les adultes de ma famille les faisaient s’assoir et manger avec nous, on parlait,  on se moquait un peu, (eux aussi d’ailleurs) et on rigolait bien tous ensemble. Mais je me trompe peut-être. Je n’ai jamais ressenti ce que je pouvais ressentir en France avec les jeunes du FN et cette haine vraie. Non. Pas à Naples. Et pour les zingari, eh bien, à Naples on a plein d’histoires, parce que le Napolitain est superstitieux, enfin celui que je connais. Le Napolitain, et surtout la Napolitaine, aiment savoir ce que sera leur avenir et ils aiment ces histoires de destin écrites le long des lignes de la main. À la manière d’un formidable Mastroianni dans Drame de la jalousie, d’Ettore Scola : cette scène avec les gitans et la mouche me file à chaque fois un fou-rire incroyable. Les Zingari ont leur utilité et surtout ils ont leur place.

Un été, ma mère a été très malade. Dans sa chambre, elle était avec une gitane. Une dame qui lisait les lignes de la main et aussi qui avaient des « flashs ». Ma mère a passé tout un été avec cette dame, lui donnant un objet lui appartenant après chaque prédiction. Elle était belle et elle lui a redonné du courage. Alors pour moi, Naples m’a surtout enseigné à rire des différences, mais aussi à les accepter et à aimer les gens tels qu’ils étaient : Gitans, Roms, pédérastes, fous, ou je ne sais quoi encore. Parce que ce que j’ai vu à Naples c’est que ces différences faisaient bon gré, mal gré, bonne figure dans cette magnifique ville portuaire.

Francesca Acquaviva, aux Urbains de Minuit

1 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par etzel
Certe cose prima si fanno e poi si dicono�EUR�
Numéro : 54 -