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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Un entretien avec Gigi Bonin, président de l'ONG Fils et Filles des Internés du Camp de Saliers

C'était au lendemain de la Commémoration du Camp de Saliers. Il avait lu les noms des familles, les noms des morts, pensé aux musiciens qui nous  ont chanté Djelem Djelem, présenté la stèle en place du Camp disparu et fait voir l'invisible.

Gigi Bonin est un arlésien à la généalogie complexe, provençal, gitan, grec... Grande carrure, grande gueule, puissance de travail et de combat considérable, fortement inscrit dans la communauté gitane de Provence, qualités de guerrier faisant qu'il fut choisi comme président des Fils et Filles d'Internés du Camp de Saliers en 2014, malgré le fait que lui-même n'en soit pas directement un.

Pourquoi cet entretien ? Il se trouve, ami lecteur, que nous sommes en lien, par le miracle des réseaux sociaux, depuis 8 ans, donc je le connais bien. Je sais qu'il aime les femmes et le piment d'espelette, que l'amabilité n'est pas son point fort ce qui très pratique pour faire circuler les importuns, qu'il est insomniaque et connaît par coeur les dialogues d'À bout de Souffle, mais surtout,  depuis 2014,  je le vois nous partager les archives du Camp de Saliers et toutes ses batailles. Son implication rend visible l'histoire et la vie des Gitans de Provence. Elle a changé mon regard, et changera le vôtre je l'espère.

On se retrouve dans un bar, aux Saintes (pas celui auquel il m'a donné rdv, jamais il ne fut aux rdv qu'il m'a donnés, ou plus exactement si,  mais ailleurs...)

Premiers mots : "...il faut que je t'explique une chose : je suis président de l'association à la demande de la tribu des familles de Saliers, au sens strict de clan, ou de compania : des Gitans indépendants et unis en tribu." Tribu dont il prend soin, concrètement, culturellement, politiquement (il est également membre suppléant pour l'association France Liberté Voyage et représentant à la Commission Départementale Consultative Gens du Voyage Bouches-du-Rhône).

Première bataille, de fond,  "le cynisme des officiels : la guitare ils veulent bien, mais la caravane hors de question, le Tzigane qui joue à leurs mariages oui, le Gitan on l'expulse, et je parle de la Mairie d'Arles comme de celle des Saintes. Le travail de l'ONG n'est pas de se battre avec les mairies mais contre elles, pour inscrire la légitimité historique de la présence gitane française, installée depuis le 14ème siècle en Provence."

Deuxième bataille, de fond "le cynisme des lois : tout d'abord la loi ALUR interdisant de mettre plus de deux caravanes sur un terrain, ce qui détruit le tissu familial des nomades. Ensuite la loi sur le Livret de Circulation des gens du voyage français, flicage abusif  contre lequel nous nous battons au plus haut niveau de l'État."

Troisième bataille, de fond "le cynisme de l'histoire : la fameuse stèle - sculpture de l'arlesien Guerri en 2006 : son grand-père vendait des patates aux boches, pendant la guerre... l'oppression des Tziganes en France, antichambre du génocide, n'est pas reconnue en France, pas enseignée...et la collaboration locale d'hier nous nargue aujourd'hui..."

À la terrasse du bar, il y avait aussi Roselita Gonzalvez, qui est trésorière de l'association. Enfin.... à la terrasse du bar c'est exagéré.... et trésorière est trop peu dire. Roselita, souriante et douce femme a passé sa journée à conduire, ramener, aller chercher, regrouper tout ce monde qui arrivait de partout.  Les nomades sont bien bien coordonnés dans l'impro et ont de bons reflexes, j'ai vite compris. Quand finalement Roselita s'est posée au camping, elle m'a dit : "Je me suis sédentarisée il y a 7 ans, c'était trop dur, trop violent à cause des flics, je n'en pouvais plus, et aujourd'hui c'est dur parce que ma vie me manque... le voyage me manque... c'est dur de toute manière...."

De cette journée avec Gigi Bonin, entre  gitans de France  d'aujourd'hui et ceux d'hier, j'ai compris le grand oeuvre des Fils et Filles d'Internés des camps : affirmer leur passé pour  affirmer leur présent, dans le même paradigme existentiel, être tout à la fois semblables  et différents de la norme des Français sédentaires, des gadje (moi, par exemple), être eux-mêmes, enfin et simplement.

 

 

Sonia Grdovic aux Urbains de Minuit

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