
Bilal Berreni, de ses mots «Franco-algérien résidant à Paris», avait 20 ans au printemps 2011, lorsqu'il est parti à Tunis «aller sentir l'odeur du vent de la révolution». Signés Zoo Project, ses fresques et graffs d'hommes souvent aux corps d'animaux - toujours en noir et blanc puisqu'il ne voit pas les couleurs - nous rappellent que dans cette société nos regards ne sont collés qu'à des écrans et que «si le silence est d'or, le bruit est de béton», gravés sur les murs et les âmes de parisiens. Son père se souvient qu'«il était intéressé par tout ce qui peut renaître du chaos. Pour lui, cela représentait la faillite du capitalisme, et il croyait que du chaos, quelque chose pouvait renaître.»
En Europe de l'Est, il est parti, avec Antoine Page, pour un voyage à la rencontre des fantômes de l'ex-URSS autour du projet du documentaire «C'est assez bien d'être fou».
À Tunis, en pleine révolution, un homme lui demande de peindre un portrait de son frère, Hanchi, mort pendant les émeutes. Là-bas, et ensuite dans un camp de réfugiés prés de la frontière libyenne, Bilal se trouve à faire ce qui, finalement, il était parti faire: des centaines des silhouettes en cartons représentant, d’après des photos, une par une les victimes de la guerre civile surgissant entre les tentes et les décombres.
Zoo Project va à la rencontre des familles, parle avec les mères, les frères et les fils des morts, vient de les connaître par noms et prénoms, et là où chaque jour des hommes tombent comme objets sans aucune importance ou sont «parqués dans des camps sans plus être considérés comme des humains», ce garçon de vingt ans plusieurs fois poursuivi par la justice en France, en reconstruit l'image et la mémoire, n'en redonne leur droit à exister.
«Si je les peins, si je me permets de les représenter, de les exposer dans des manifestations, c'est parce que je suis convaincu que leur disparition des mémoires marquerait la fin de l'espoir».
En été 2013, lorsqu'il n'avait que 23 ans, son corps a été retrouvé dans la banlieue de Detroit, assassiné d’une balle dans la tête, probablement par un voleur parti avec son portefeuille. Tant a valu la vie d'un jeune qui a redonnée la vie aux morts.
«Il était très animé d'une ferveur utopique, pure, et ne faisait aucune concession avec la société. Il sentait qu'il devait agir en fonction de ce en quoi il croyait. Il avait besoin de découvrir le monde et ses vérités, découvrir ce qui pourrait bien donner un sens à ce monde. Il était comme ça, sans concessions».
À ceux qui disent que l'art n'est pas utile, je répond que non, ce n'est pas utile.
Pour que ce monde garde ce peu d'humanité, il est nécessaire.
M Tristan Zà, aux Urbain(e)s de tous les mondes possibles