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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Voyage dans l'univers des parloirs de prison

C'est un moment difficile de se préparer à aller voir quelqu'un en prison. Ce n'est pas une visite anodine, on y réfléchit longtemps à l'avance, essayant de se préparer à ce que l'on va découvrir. Mais cela ne correspond que rarement à ce que l'on va vivre ! Cela n'a rien à voir avec "prison break" ou ce genre de cinéma. Cela commence déjà par avoir la volonté d'y aller. Beaucoup de personnes ne veulent même pas en entendre parler, le prisonnier qui s'y trouve enfermé, n'y est il pas parce qu'il est coupable !

Une fois que vous avez accompli ce trajet dans vôtre tête, il ne reste plus qu'à y aller. Alors, il faut prendre le RER, puis attendre le bus et finir à pied. Devant l'arrêt de bus vous prenez conscience que vous n'êtes pas seul dans ce cas. C'est un jour férié et les gens qui sont tous là sous la bruine, n'y sont pas par hasard. Très peu d'hommes sont présents, peut être par superstition de se retrouver enfermés à leur tour. Des mères, des épouses, pas de soeurs.

Deux femmes m'ont gentiment expliqué les règles de base des visites en prison. En engageant la conversation, la première question est invariablement la même : combien de temps dure la peine ? Ensuite vient le lien de famille du détenu ; mari, enfant, neveu.  Seconde règle, on n'énonce jamais la raison de la condamnation soit par honte soit par pudeur. Cela ne regarde que le type à l'intérieur ! Ensuite vient la liste de ce que l'on peut apporter et ce qui est refusé. Interdiction bien sûr faite sur les portables, les armes, jeux vidéo etc... Ce sont les femmes qui gèrent cette démarche, cette sorte d'intendance. Car on ne vient jamais les mains vides, on apporte vêtements, objets du quotidien qu'on ne trouve pas de l'autre côté du mur et dans mon cas des livres. Si vous voulez vraiment apporter clandestinement certains objets, tout est possible pour les cacher ; intérieur de soutien gorge, de culotte, voir insertion dans le vagin ; mais ça m'a expliqué la femme, il n'y a que les femmes Roms qui vont jusque là. 

Manque de chance, un jour férié, il y a moins de gardiens, donc pas de fouille possible des colis qu'on apporte, je suis donc resté avec mes romans, ils étaient un peu trop volumineux pour les passer en fraude. J'ai laissé dans une consigne ma veste ainsi que tous les objets métalliques susceptibles de me faire refouler au portillon installé à l'entrée, pour accéder à la prison. Comme dans les aéroports, celui-ci a réagi non pas à un objet oublié, mais à la ferraille que j'ai dans le corps. On m'a demandé pour la prochaine fois d'amener un certificat médical ! Ensuite le greffier m'a remis un badge magnétique pour la prochaine visite et j'ai repassé un autre portillon, celui de la salle d'attente des parloirs, qui a bipé lui aussi, donc re-fouille.

La prudence est de mise. Attente de 15 minutes, mais qu'heureusement on ne décompte pas du temps de visite. Si vous habitez à moins de 200 km, la durée ne peut excéder 30 mn, si c'est plus, vous avez droit à 1 heure ; l' administration pénitencière a été "cool" avec moi, pour ma première visite, elle m'a laissé 2 heures. Enfermé dans une pièce de 2 x 4 mètres, vous ne voyez pas le temps passer, vous profitez de chaque secondes. Celles-ci se transforment en minutes qui se changent en heure et quand le gardien revient vous chercher, vous avez le sentiment d'être resté une après-midi entière à discuter. La tension est tellement palpable que vous ressortez de là épuisés comme après une dépense d' énergie trop forte. La personne que vous allez visiter ne dépasse pas le muret qui vous sépare d'elle, même si la "fenêtre" normalement installée au dessus a été enlevée. Les sujets de discutions vont par ordre d'importance décroissant. Donner des nouvelles de ceux qui pensent à lui, en prendre et en apprendre sur la vie qu'il mène entre quatre murs. Parler de sa santé, des livres auxquels il a accès ainsi que des efforts qu'il fait pour se maintenir en forme physiquement. Et surtout envisager ce qui devra être fait, à la sortie, pour retrouver une vie « normale ». Une fois le temps écoulé, un nouveau gardien vient chercher le détenu et referme la porte derrière lui. Et lorsque que tous les prisonniers sont réunis et ont réintégré la partie "fermée", un autre gardien revient ouvrir de votre côté. L'attente peut durer un certain temps, celui de vous interroger si vous-même vous restiez pour une raison pour une autre enfermés à votre tour dans cette cellule aussi étroite. Ensuite vous récupérez vos papiers laissés au greffe, refaites biper le portique à la sortie et vous retrouvez l'air libre avec un certain soulagement ! Pendant un bon moment vous vous sentez l'esprit aussi étriqué que cette pièce dans laquelle vous avez passé deux heures. Il faut du temps pour que vos pensées reprennent un cours normal. La prison n'est pas uniquement un enfermement physique, mais aussi moral et pour certains, intellectuel. Fini le clic sur le Web et avoir le monde au bout des doigts. Retour aux livres, à la musique sur CD et aux stages d'insertion pour s'occuper l'esprit. Très peu le font, soit par fainéantise, soit parce qu'ils refusent cette possibilité. De fait ils se comportent exactement comme au dehors. Ils demandent généralement à la personne qui les relie à l'extérieur de leur fournir ce dont ils estiment avoir besoin dans leur cellule, pour passer le temps le plus agréablement possible : jeux vidéo, téléphone portable, drogues en tout genre. J'ai pensé que, sans s'en rendre compte, ils s'installaient dans leur cellule comme si l'endroit devenait leur habitat naturel ! D'ailleurs certains y retournent régulièrement ! Ils finissent par trouver normal d'être là et leur entourage aussi. J'ai entendu une gamine de 18 ans crier de bonheur d'avoir vu son copain de 20 ans au parloir pendant 30 minutes : "c'était trop de la balle de le voir là". Elle était fière d'être la nana d'un petit caïd ! Ce "là" signifiant la prison qui m'a laissé songeur. Comment peut on trouver normal de voir quelqu'un que l'on aime, être enfermé ? Qu'elle soit heureuse de le voir, je comprend, mais « là » ! Non.

Je me suis dépêché de remonter l'allée bordée de peupliers pour prendre mon bus retour. Là, j'ai retrouvé des personne normales, qui n'arrivaient pas à effacer, dans leurs yeux, cette inquiétude permanente pour la personne que l'on vient de laisser derrière soi. C'est à cela que nous nous sommes reconnus en échangeant un sourire muet. La case prison n'est pas comme au jeu de Monopoly. Il ne suffit pas de passer trois tours pour en sortir, et surtout on n'en revient pas indemne. La personne que je suis allée voir m'est très proche, j'ai vu le changement des ses yeux, la maturité forcée par la vie en vase clos. Quand je lui ai demandé s'il avait des "amis" avec qui il pouvait s'entendre, il m'a regardé en souriant ; la première condition de "survie" en prison, est de n'avoir confiance en personne. Les gens qui sont là ne sont pas des enfants de coeur, ce sont tous des condamnés pour X raisons, m'a-t-il répondu !  A question idiote...

 L'attitude intelligente est de se tenir à carreau, éviter les ennuis, même si parfois les nerfs sont mis à rude épreuve, pour que le dossier de demande de sortie anticipée pour bonne conduite ait des chances d'aboutir. Ainsi je juge d'application des peines pourra émettre un avis favorable à la sortie. C'est ce que nous ses proches et les quelques amis qui lui restent, attendons ces prochains mois. Mon plus grand plaisir, serait que tu sois sorti avant ton 24 ème anniversaire, mon fils !

 

E.P., aux urbains de Minuit

2 commentaires
Le 0000-00-00 00:00:00 par Frédéric Louis
Merci pour ce beau et poignant témoignage. Tu es ici chez toi
FRED
Le 0000-00-00 00:00:00 par lyllou
J'ai vécu le même parcours avec mon frère incarceré il y a trois ans,des souvenirs,des émotions a vous lire....pour l'avoir vécu la prison est une punition pour le détenu mais pour les proches également! mon frère a été liberé pour raison médicale,il est decedé il y a quelques mois....Je souhaite a votre fils ne plus jamais se laisser "voler" sa liberté! en attendant courage!
Numéro : 37 -