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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Résister à Nice : archives des Diables Bleus

ARTICLE DE "SILENCE ",  janvier 2007 :


En 1999, des collectifs d’artistes se rencontrent autour du projet d’occupation de casernes de chasseurs alpins – surnommés  les Diables Bleus – abandonnées l’année précédente par l’armée, vendues à l’université et vouées à la démolition. Elle se situe à Saint-Roch, un quartier populaire de Nice. Ces collectifs se fréquentent depuis le début des années 90 et ont déjà organisé, de 1991 à 1994, un carnaval indépendant. Certains ont déjà participé à d’autres squats durant les années précédentes. On y trouve notamment Nux Vomica , un groupe de musique, Zou Maï (“avance encore” en niçois), un groupe culturel occitanistes . Il n’y a pas d’affinités particulières au départ, mais une opportunité de lieu. Le squat est préparé minutieusement pendant six mois, une charte définissant le fonctionnement du lieu est élaborée et, lorsque tout est prêt, l’occupation est annoncée publiquement… Elle commence toutefois 48 h avant la date rendue publique pour que tout le monde soit déjà installé quand les forces de l’ordre arriveront. Le public présent au même moment permettra de bloquer une éviction rapide.
Le site occupé, de 800 m, est en relativement bon état. Le collectif assure la gestion des lieux, l’animation d’une salle de spectacle avec un bar, la programmation d’événements communs ou non, puis de plus en plus, l’organisation d’événements de rue pour être visible et revendiquer la possibilité de rester sur place. L’université qui vient de racheter les lieux n’a pas encore de projet précis et accepte, en Mars 2000, de signer une convention d’occupation précaire, c’est-à-dire révocable sans préavis. L’opportunité d’avoir un lieu de ce genre disponible attire immédiatement de nombreuses associations et il faut rapidement peaufiner le règlement. Une cinquantaine de personnes, membres de différentes associations, sont officiellement “résidentes”. La moyenne d’âge est faible : beaucoup ont moins de trente ans. Un repas collectif à prix libre, organisé chaque mardi, réunit régulièrement plus de 200 personnes, dont beaucoup de jeunes du quartier. Les fêtes attirent jusqu’à 1000 personnes. Les concerts ne sont pas officiellement publics, mais il suffit de payer une adhésion au collectif (10 € par an) pour qu’ensuite l’entrée soit gratuite.
La renommée du lieu traverse la frontière italienne toute proche et de nombreux groupes artistiques transalpins viennent se produire sur cette scène ouverte. Des contacts suivis sont pris avec des groupes de l’Italie. De même, côté français, les groupes viennent depuis l’autre bout du pays. Les terrains permettent de monter des chapiteaux, et des cirques se produisent sur place à l’occasion. Les artistes sont logés, nourris et un peu rémunérés.

Les Diables bleus négocient des emplois aidés pour assurer le suivi de l’animation. Chaque lundi soir, une assemblée générale se tient au rez-de-chaussée entre les résidents. Les votes se font à l’unanimité. Il s’y discute des possibilités d’accepter de nouveaux résidents et du partage des douze salles de l’étage. Les demandes sont nombreuses car le loyer est dérisoire (25€ par an !). Selon le règlement, les résidents ne peuvent prétendre être là que s’ils y développent un projet. Au moins une fois par an, chacun doit donc présenter son travail artistique. l’occupation d’une caserne à Nice a permis de créer une formidable synergie alternative dans le milieu culturel. Après leur expulsion, les Diables bleus essaient aujourd’hui de reconstituer la dynamique d’un moment dans de nouveaux lieux.
Certains, qui ne s’investissent pas dans le collectif ou qui ne font que loger sur place sans activité artistique, sont priés de laisser leur place. Les styles artistiques sont variés. On trouve des plasticiens, des musiciens, des groupes de théâtre, de danse…Des groupes politiques demandent à s’installer sur les lieux. Un groupe anarchiste, accepté initialement, est finalement prié de partir parce qu’il ne participe pas au collectif ! Un comble !
L’Association pour la démocratie à Nice et Grrr sont les deux seuls groupes politiques présents. Le premier essaie de rendre publics les mauvais fonctionnements de la mairie, proche de l’extrême-droite. Le deuxième groupe mène une réflexion critique sur l’industrialisation. Le collectif des Diables bleus essaie de créer des ponts entre les pratiques artistiques. Il tisse des liens avec l’école des Beaux-arts, avec la Friche de la Belle-de-Mai à Marseille (1). Il met en place des rendez-vous annuels : “Octobre bleu” à l’automne, “Prairial” au printemps. L’occasion d’inviter des artistes d’un peu partout. En face d’eux, se trouve un autre bâtiment de la caserne inoccupé. Toujours en 2000, une nouvelle convention avec l’université permet d’y installer un collectif de troupes plus professionnelles :  La Brèche

De nombreux événements communs sont organisés. Tout semble aller pour le mieux, puisque le ministre de la Culture de l’époque vient visiter le lieu et y présente un projet de reconnaissance pour les friches artistiques… La région commence à subventionner, la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) fournit des aides ponctuelles pour certains spectacles… Mais le retour de la droite au gouvernement en 2002 va changer les choses.
Après quelques années de fonctionnement, les Diables bleus sont devenus le carrefour alternatif de la ville, et, de fait, on y croise des représentants de nombreux groupes politiques, anarchistes, écolos, d’extrême-gauche… Le lieu a le soutien du Parti Communiste, encore majoritaire dans ce canton populaire. Quand la droite repasse au pouvoir au niveau national, la droite locale se sent en état d’attaquer ce qui est, selon ses mots ,“un cancer dans la ville”.L’université délègue ses pouvoirs à la mairie pour mener le chantier de son extension. Elle ne renouvelle pas le bail précaire consenti aux associations en mars 2004. La mairie engage une procédure d’expulsion des lieux, sous prétexte d’y installer un chantier pour le futur tramway et des correspondances de bus. Les artistes se retrouvent alors dans la situation d’un squat classique. 


Le collectif multiplie alors les contacts avec les institutions pour essayer de trouver une solution qui permettrait de faire perdurer le lieu. Des tables-rondes sont organisées avec les représentants de la culture (région, DRAC, ville…). La mairie comprend assez rapidement qu’elle va devoir utiliser une vieille technique : diviser pour régner. Elle propose alors à certains groupes résidents aux Diables bleus de s’installer dans des salles municipales. Certains acceptent : ils bénéficient alors d’un meilleur confort et de la gratuité des charges. Bizarrement, ce ne sont pas les moins politiques qui se laissent charmer. Un des groupes initiateurs de l’occupation en 1999 va même partir dans les locaux municipaux. Le collectif est affaibli par ces départs, mais il persiste à vouloir sauver les lieux. Un incendie suspect d’une partie du bâtiment laisse craindre un passage en force de la mairie.

Pendant deux ans, toutes les étapes de l’expulsion vont se dérouler avec procédures judiciaires, huissiers de justice… et le 1er décembre 2004, le quartier est bouclé par plus de 300 policiers et deux escadrons du GIPN. Alors que des procédures judiciaires sont encore encours et qu’un jugement est attendu pour le 3 décembre, les bulldozers entrent immédiatement en action et le soir même ,tout est déjà démoli. L’évacuation se fait sans trop de dégâts matériels pour les artistes, l’essentiel ayant été évacué à temps ; mais les dégâts moraux sont immenses. Pendant les deux ans qu’ont duré les procédures d’expulsion, des débats ont animé le collectif. Si certains ont voulu croire jusqu’au bout à la possibilité d’une négociation et au maintien dans les lieux, deux autres scénarios se sont mis en place parallèlement : certains membres ont étudié la possibilité d’ouvrir d’autres squats dans la ville, d’autres ont proposé de profiter de la mobilisation autour des Diables bleus pour collecter des fonds et racheter une friche industrielle. Concrètement, ce scénario pouvait aboutir, et des négociations avec les institutions avaient montré qu’en collectant 150 000 € , il était possible de compléter les fonds par des subventions et un emprunt bancaire afin d’acheter des locaux à hauteur d’un million d’euros. La DRAC était plutôt favorable au projet mais le maire Jacques Peyrat refuse designer le protocole d’accord rédigé avec les responsables de ses services et le préfet fait intervenir les forces de l’ordre.

Après l’expulsion, un campement s’est installé sur le site. Il restait un troisième bâtiment sur le terrain, ancienne caserne du GIGN, qui avait servi à l’accueil des sans-papiers. Une tentative d’occupation tourne court. Au bout d’un mois– en plein hiver – le camping s’effiloche, le collectif disparaît… ou presque. Deux petites flammes brillent encore au plus sombre de l’hiver. D’autres associations vont réunir des fonds et acheter, le 7 décembre 2005, des locaux forcément beaucoup plus petits (76 m2)au rez-de-chaussée d’un immeuble, route de Turin, en bordure du champ de ruine de la caserne. Pour cela, les association sont empruntées à leurs adhérents et les remboursent, petit à petit, grâce aux bénéfices du bar, aux subventions et à une participation prise sur les paniers de légumes distribués par l’une des associations. Le local, acheté en indivision, continue à fonctionner de manière collective, avec des décisions à l’unanimité. C’est ce dernier collectif qui conservera le nom des Diables bleus. (...)

Le réseau est donc toujours là, mais le traumatisme est profond. Les Diables bleus se présentaient comme une usine à projets, ils sont devenus plus modestes par manque d’espace. Toutefois rien n’est écrit et tout est toujours possible : ils savent que s’ils arrivent à s’agrandir, d’autres groupes viendront ou reviendront. La fête continue.  (MB)

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Mots clés : #histoire
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Numéro : 36 -