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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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La trahison d'Einstein

 

Je suis allé au théâtre Rive Gauche, rue de la Gaîeté à Paris  pour voir "La trahison d'Einstein" d'après Eric Emmanuel Schmitt, avec Francis Huster et Jean Claude Dreyfus. Et je vous en fais part, amis Urbains.

Le sujet est connu, mais l'approche de E-E Schmitt est, comme toujours intelligente.

Einstein a fui le régime nazi et vit dans le New Jersey, où il pratique correctement le violon et très mal la voile. Un clochard (Dreyfus), le voyant manquer de couler avec son voilier, lui dit que s'il joue du violon comme il barre son bateau, il doit faire plus de bruit que de musique, Einstein (Huster) lui répond que s'il barre mal, il joue acceptablement et qu'aucun compositeur n'est venu se plaindre, "Normal, ils sont tous morts..." lui répond le clochard. Le ton est donné, on va assister à un échange croustillant entre ces deux êtres.

Les physiciens  Leó Szilárd, Edward Teller et Eugene Wigner, tous  trois des réfugiés juifs hongrois, comprennent qu'une expérience menée par Fermi en Allemagne permet de modifier, en chaine, la masse d'atomes d'uranium (la destruction des uns provoquant la destruction des autres) et de dégager ainsi une quantité d'énergie apocalyptique. Ils savent qu' Hitler s'est lancé dans la fabrication de l' arme atomique (budget alloué, confiscation des mines d'uranium, production d'eau lourde, etc..). Si la guerre éclate et que l'Allemagne venait à disposer de cette arme, elle serait assurée de la gagner. Les trois hongrois ont l'idée de demander à Einstein, en août 1939, d'écrire une lettre au Président Roosevelt pour que les américains se lancent, eux aussi, dans la fabrication de cette arme, de façon à en disposer avant les nazis :

http://tpe-groupe10-projetmanhattan.e-monsite.com/medias/images/einstein-roosevelt-letter.png

A cette époque, Einstein était déconnecté de la physique nucléaire et n'avait pas connaissance des dernières découvertes, il s'occupait de voile et de violon. Les trois physiciens, lui démontrant le danger des dernières expériences physiques réalisées en Allemagne et aux Etats-Unis, le convainquent, Einstein accepte, il ne peut supporter l'idée que les nazis dominent le monde. Il le fait malgré ses fortes convictions pacifistes.

La notoriété du génial Einstein amènera le président Roosevelt à lire cette mise en garde.

Suite à cette lettre, les Américains commencent à travailler sur l'arme nucléaire. Le drame d'Einstein est que ces travaux aboutissent, et que, au mois d'août 1945, deux bombes sont lancées sur des villes japonaises tuant des centaines de milliers de civils. Or, à cette date, les nazis étaient vaincus et le Japon ne présentait aucun risque de se doter de cette arme. La bombe était inutile pour battre le Japon. Einstein s'est toujours senti responsable des tragédies d'Hiroshima et de Nagasaki ("je suis réveillé la nuit par les hurlements des gens brulés et irradiés et je sens le souffle chaud de la bombe, qui a traversé la pacifique jusqu'à moi, souffler dans ma chambre" à peu près, de mémoire, un texte de la pièce). Il s'est aussi senti responsable du fait que cette arme soit laissée entre les mains de dirigeants guidés par les notions de nations, de territoires, de puissance, de domination. Il va œuvrer toute le reste de sa vie pour le désarmement ou pour que l'arme nucléaire ne soit que sous la responsabilité des Nations Unies. Il s'est estimé trahi.

E-E Schmitt nous brosse un tableau intelligent, imaginant les discussions informelles entre un clochard et Einstein, et les objectifs de chacun sont très différents : honorer la mémoire de son fils, être fier d'être américain, être assuré d'avoir à manger et à boire pour l'un, élever l'humanité, lutter contre la barbarie, les passeports, les mensonges d'état, honorer Dieu pour l'autre. Mais ils se retrouvent dans le bon sens et la simplicité. Ils s'émerveillent tous deux devant un ciel étoilé et une pleine lune resplendissante. N'est-ce pas le plus beau des spectacles ? En donnant la réplique aux questionnements et raisonnements simples du clochard, Einstein peut exprimer ses doutes, ses haines, ses envies, son anéantissement devant l'usage apocalyptique que l'homme fait des puissances et des bienfaits de la nature. Pour cela l'auteur agrémente les dialogues de multiples citations célèbres du génie ( "En apparence, la vie n'a aucun sens, et pourtant, il est impossible qu'il n'y en ait pas un " ou "Il y a deux choses qui sont infinies : l'immensité de l'univers et la profondeur de la bêtise humaine. Encore que, pour l'univers, je puisse avoir un doute...", etc...)

Schmitt ne manque pas, au passage, d'épingler le Maccarthysme et la bêtise américaine. Il épingle aussi la France en rappelant que ce sont des savants français qui sont à l'origine des plus importantes découvertes qui ont mené à la bombe. Einstein s'est contenté d'observer et d'imaginer pour démontrer qu'E=M C². Il a juste dit que la matière détenait une immense quantité d'énergie. Il n'y est pour rien. Ce sont d'autres savants qui ont remarqué qu'en désintégrant des atomes on émettait des neutrons qui désintégraient d'autres atomes. Eux ont modifié la nature. Un atome est stable et ne se désintègre pas. S'il est radioactif, il émet des radiations qui peuvent provoquer des destructions naturelles limitées. C'est l'homme qui a créé des éléments plus radioactifs, et qui les a manipulés pour que la réaction devienne continue jusqu'à l'explosion. Là où Dieu a mis l'harmonie, la vie et la stabilité, l'Homme a créé le chaos, la destruction et la mort.

Je vais terminer sur un mot d'espoir. De cette filière atomique qui a géré nos vies depuis soixante ans, peut naitre une aube nouvelle. La maitrise de la fusion nucléaire apporterait à l'humanité une source d'énergie infinie et non polluante (zéro déchets, mais, vraiment zéro), comme le soleil est notre source de vie et d'énergie. Le soleil lui même est une gigantesque bombe H qui brûle sans exploser. Grâce à lui la température est clémente, les plantes poussent, les nuages nous apportent l'eau, la vie se déroule. Le jour où nous maitriserons cette énergie, j'espère que le monde en tirera bonheur et que la vie sera plus équitable et plus douce sur notre pauvre vieille planète. Ce jour là Einstein pourra reposer au ciel sans le poids de l'infamie dont il s'est accablé à la fin de sa vie.

 

Chy Hueber Krempp, aux Urbains de Minuit et de midi

 

 

Mots clés : #théatre
1 commentaires
Le 2014-04-03 22:05:26 par Marie
Merci Cher Chy pour ce regard particulier. Quel débat...intelligence, culpabilité, sensibilité, humanisme....dur, dur... Le génie peut parfois faire mal.
Numéro : 32 -