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Numéro 61 - 07 septembre 2016
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Chronique d'une vie quotidienne et mort d'un commis voyageur

 

 « Mort d’un commis voyageur » de Arthur MILLER

TNN 12-15 mars 2014

 

 

« Mort d’un commis voyageur », la pièce d’Arthur Miller, écrite en  1949 et jouée dernièrement au Théâtre Nationale de Nice, ne raconte pas exactement la mort d’un commis voyageur.

Au travers des dialogues d’une apparente banalité, relatant la vie d’une famille dont le père vieillissant est un voyageur de commerce dans le nord des Etats-Unis qui va être licencié, elle parle s’une société qui légitimise le matérialisme absolu, la réussite financière, l’apparence du bien-être liée au confort petit bourgeois, toute puissance  dont la pensée unique  conduit au bonheur des individus consommateurs.

Alors que l’univers ultra-libéral, le « rêve américain » de prospérité absolue qui allait fonder la nation prenait tout son sens au travers du manichéisme Maccarthyste, Miller met en scène la vie quotidienne d’une bourgeoisie moyenne dont l’insipidité conduit peu à peu , à l’écoeurement et à une issue fatale : le suicide du père usé par une vie qui n’aura été qu’un médiocre compromis. Il perd son travail sans  aucune reconnaissance pour ses 40 ans de fidélité à son employeur.  Son frère a réussi brillament dans les mines de diamants. Sa femme l’idéalise alors qu’il la trompe outrageusement. A presque 30 ans, ses enfants n’ont toujours pas de travail honorable et papillonnent d’une coucherie à une autre. Les couleurs, les odeurs, l’alimentation, la nature environnante sont devenus insipides. Peu à peu, les tableaux se succèdent dans des scènes quotidiennes de bonheur superficiel raté, et le drame monte. Les enfants qui ne « réussissent » pas sont culpabilisés comme ne contribuant pas au bonheur de leur père qui se sacrifie pour leur bien. La mère, « tragiquement aimante »,  vénère cet homme qui croit lui-même avoir été un employé hors pair mais annonce dès la première scène qu’il n’est rien, qu’il n’a rien fait de sa vie, à part vendre du vent…. Et que tout le monde n'est pas comme cela, « qu’il y a des gens qui ACCOMPLISSENT quelque chose. ».

Sommes-nous de ceux qui accomplissent quelque chose ?

L’univers parfait se délite rapidement, donnant le frisson. Il faut payer les traites, la courroie du nouveau frigo est cassée, cela arrive quand on vient de l’acheter… « Tiens, Willy, je t’ai acheté du fromage fouetté. » «  Pourquoi t’achètes du fromage fouetté ? Tu sais que j’aime que le gruyère ? »« les affaires sont les affaires »....

 Peu à peu , le principal protagoniste avance vers la mort, « c’est le salaire de son péché. Son péché, a été de se livrer à une telle contrefaçon de la dignité, à une telle comédie du succès, qu’il ne peut plus prouver son existence qu’en léguant à sa postérité la dernière richesse qu’il  possède lui-même pour le prix de son assurance sur la vie. » Arthur Miller, préface à la pièce.

« Dramaturge social », marxiste ou simple critique des valeurs contemporaines, condamné en 1956 pour outrage au Congrès américain malgré l’obtention du prix Pulitzer pour cette pièce emblématique,  Miller montre comment l’aliénation au succès matériel  conduit à la perte des valeurs humaines de base. Derrière la dramaturgie, se profile la mise en lumière crue et dérangeante, d’une société dont l’humanisme s’étiole jusqu’à disparaitre dans les méandres d’un confort qui n’apporte aucun bonheur vrai ni durable.

Miller stigmatise « une manière de voir l'homme et la nature humaine comme la seule source de la violence qui est arrivée de plus en plus près à détruire l'espèce… .une manière de voir qui ne se tourne pas vers les idées sociales ou politiques comme les créateurs de la violence mais dans la nature de l'être humain lui-même. » (Arthur Miller).

En réalité, loin de faire porter le chapeau à la société elle-même, à ses structures hiérarchiques et institutionnelles, Miller donne toute sa responsabilité au pouvoir de décision de l’homme sur son destin. C’est parce que nous le voulons que nous sommes victimes de cette société. Il est de notre devoir de cultiver une morale respectueuse de l’individu et de ses valeurs, au sein même de notre pensée. Le titre « A l’intérieur de sa tête » avait d’ailleurs été envisagé initialement par Miller pour la pièce.

Ecrite il y a 65 ans, cette pièce n’a jamais été aussi actuelle. Il n’aura pas fallu 65 ans pour que ce monde, étant devenu globalement « américain » depuis longtemps, celle-ci pointe du doigt nos dysfonctionnements et la triste réalité d’aujourd’hui, en France.

On aurait aimé qu’elle fût moins lugubre. On aurait aimé rire. On aurait aimé avoir des pistes de réflexions. Mais il faut parfois voir la réalité crûment pour provoquer un questionnement dérangeant, c’est la caractéristique de ce théâtre américain réaliste et expressionniste qui contraste avec le théâtre français.

Les questions sont également concrètes :!

-       Que faire des employés vieillissants et moins performants ?

-       Comment les enfants peuvent-ils construire leur  réalité face aux rêves de leurs parents ?

-       Comment créer de bons rapports parents/enfants ?

-       Comment ne pas vivre dans l’illusion et dans un passé perdu, idéalisé ?

-       Comment ne pas décevoir, ne pas être coupable, ni déçu ?

 

Le public niçois de ce soir là, l’a-t-il compris, lui qui applaudit poliment, sans les acclamations d’usage lors d’une première, cette longue et patiente décomposition d’un univers quotidien étrangement familier, avant de retourner à son petit confort bien mérité ?

 

Tombé de rideau

 

Karla Paslac, aux Urbains des villes et des campagnes

 

« HARLEY : Tout cela n'a aucune valeur marchande, ce qui compte, tu le sais mieux que personne, c'est ce qu'on peut vendre et livrer !
WILLY : J'ai toujours refusé leur foutue loi du marché... J'ai toujours cru que ce qui était important, ce n'était pas ce que le vendeur avait à vendre, mais ce qu'il était lui, réellement, profondément, et que c'était lui qu'on aimait vraiment, et pas sa marchandise...
CHARLEY : Et pourquoi les gens s'aimeraient, pourquoi, à quel titre, ça leur rapporterait quoi ? » 

Extrait de Mort d’un commis voyageur, Acte II, Arthur Miller, 1949

 

http://www.tnn.fr/fr/spectacles/saison-2013-2014/Mort-d-un-commis-voyageur

dossier de presse du Théâtre des Célestins( Lyon), producteur de la pièce :

http://www.memoire.celestins-lyon.org/var/ezwebin_site/storage/original/application/f32b0ab9876fe9ae095259cb94a56e6f.pdf

1 commentaires
Le 2014-03-19 21:18:47 par TS

yeess !
Numéro : 31 -