COUP DE BLUES
Pawel Kuczynski
Si vous aimez le cinéma, ne prenez pas le TGV Nice-Paris le lendemain de la cérémonie de clôture du festival de Cannes...
A ce qu'il parait les étoiles, une fois mortes, continuent de briller dans le ciel pendant plusieurs millions d'années...
J'envie cette pérénnité et le Festival de Cannes le devrait aussi. Une fois la comète du festival passée dans le ciel azuréen, les lumières s'éteignent bien vite, les paillettes palissent, les starlettes disparaissent comme une volée de moineaux. Pourtant si l'on se trouve dans la queue de la comète, on peut observer des phénomènes bizarres mais loin, très loin de la magie du cinéma...
Installé dans mon train depuis Nice et ne devant le quitter que pour la grisaille parisienne, c'est déjà dans un demi-sommeil que j'entrouve les yeux en gare de Cannes. Déboulant dans l'allée centrale, accompagnée des ses amies, une créature apparait et je dois me pincer pour être sûr de ne pas rêver. Elle fait deux têtes de plus que moi, élancée, belle à tomber, d'une beauté insolente, non pas jolie, mignonne, attirante, belle comme une apparition. Dans le monde normal des gens normaux, le lent mais inéluctable travail de l'imagination adoucit les contours, épure les lignes, gomme les défauts. Ici, rien à faire, tout est là, il n'y a rien d'autre à faire qu'à la contempler... En bon quadra atteint de myopie, je chausse mes lunettes... cette "créature" est à peine sortie de l'enfance, elle doit avoir à peine 17 ans, et ses amies aussi, et je me dis avec tendresse qu'elles doivent sûrement prendre beaucoup de place dans leur cour de lycée...
J'oubliais juste que nous étions le lendemain de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, aussi ont-elles dû y descendre pour gagner quelques sous comme hôtesses d'acceuil dans les différentes soirées ou bien dans l'enceinte du palais. Evidement la remontée en seconde classe a un côté moins glamour... Mes déductions se confirment et me voilà rapidement entouré d'un staff d'une "boite d'évènementiel parisienne ayant fait un détour sur la Croisette" (c'est comme ça qu'on dit non ?), des preuves ?
"J'ai appelé la prod à Paris, ils répondent pas."
" A défaut de l'avion, ils auraient pu réserver en first."
"Jess était juste à côté Ludivine Sagnier à la projection, y parait qu'elle est trop sympa mais elle a pris la grosse tête."
...
Quelques vamps en retour d'âge, attifées en robes de soirée de la veille déambulent dans l'allée du train , quelques vieux beaux les suivent de loin en loin ayant négligemment oublié de resserrer leur noeud pap de cérémonie... Au fond tout ça n'est pas bien méchant, ma joyeuse petite troupe n'a pas beaucoup dormi, somnole un peu et du coup ne parle plus, ce qui m'arrange. Habillés confort, vintage et faux négligé, même endormis ils posent, je n'ai pas les codes, je ne les aurai jamais mais je m'endors moi aussi dans les effluves de parfums usés.
Soudain du bruit me réveille en sursaut, une bagarre semble avoir éclaté à l'autre bout de la voiture, je me lève machinalement derrière deux gaillards deux fois plus grands et plus gros que moi, on s'approche : un type est en train de frapper sur...sa compagne, un des gaillard lui dit d'arrêter immédiatement, ma petite troupe elle n'a pas bougé, elle dort sagement. Le sale type qui vient de frapper sur une pauvre fille de quarante kilos veut faire son homme, nous dit de nous rasseoir, que ce ne sont pas nos affaires, puis bizarrement se ravise et va pour quitter la voiture. "Alors moi tu me laisses dormir dehors et tu vas monter les marches avec ta pute !" . Alors voilà ! La fille que j'avais vu aller et venir au moment du départ, pâle, tremblante, est en train de faire une "mauvaise descente" à 300 à l'heure, et de fouiller, chercher, ressasser dans le sac de son "néandertalien" des preuves de tromperies.
Je me dis alors que c'est ça aussi le Festival de Cannes une fois le tapis rouge enlevé, pauvre industrie infestée de parasites, triste spectacle. Que ce lundi là, lendemain de cérémonie, j'étais loin, bien loin du Cinéma. Je me demande ce qu'Abdellatif Kéchiche aurait fait de cette histoire. Cinéma de paraboles, personnages perdus dans un monde qui n'est pas tout à fait le leur, piégés par leurs propres contradictions et qui essaient de surnager. Au fond, comme tous les grands films et les grands romans, le sort de quelques hommes porte en lui le sort de toute l'humanité et de toute la vie. Je pense aussi à Godard, à ses 24 images par seconde, me dis que définitivment le cinéma est avant tout là, dans la pellicule, dans l'oeil, la vision d'un homme et sa capacité à créer ces images-mouvements chères à Deleuze et que tout le reste, au fond, est littérature, mauvais, très mauvais roman de gare...
F.L.